Nadine Labaki raconte dans Capharnaüm l’impensable périple de Zain dans les faubourgs dévastés de Beyrouth au Liban. En filigrane, comment ne pas être interpellé devant « le cri de tous les négligés par notre système », comme le glisse la réalisatrice à Francetvinfo ?
« Sais-tu pourquoi tu es au tribunal, Zain Al Hajj? » interroge le juge. Zain est en train de purger une peine de cinq ans de prison. Il a douze ans, peut-être treize. « Je veux porter plainte contre mes parents ». Stupeur. A quelques mètres, ses parents sont en larmes. Sans ciller, visage dur et résolu, il poursuit : « Pour m’avoir mis au monde. Je ne veux plus qu’ils mettent d’enfant au monde, car ils ne sont pas capables de les élever ».
L’effroi, qui parcourt l’échine du spectateur-trice dès les premières minutes du film, persiste deux heures durant.
L’effroi devant l’histoire, inspirée de faits réels et filmée avec brio par la réalisatrice libanaise Nadine Labaki. « Au déclenchement, il y a eu ce besoin de braquer des projecteurs presque crus sur l’envers du décor de Beyrouth, et de toutes les grandes villes, de s’infiltrer dans le quotidien de ceux dont la misère est presque comme une fatalité dont ils ne peuvent se défaire » explique t-elle.
Dans les quartiers de la capitale libanaise, on survit plus que l’on ne vit. Des jeunes filles d’à peine plus de dix ans, à l’image de la sœur de Zain, Sahar, sont mariées de force. Des parents envoient leurs enfants travailler pour grappiller de précieuses pièces. Plutôt qu’un livre, Zain et sa fratrie ont dans leurs mains du jus de betterave, qu’ils vendent dans les rues enfiévrées de la capitale.
Des femmes, à l’instar de Rahil, second personnage central du film, sont séparées de leurs bébés, parfois nourris aux glaçons et aux sucres. Des hommes abjects exploitent la misère de familles déboussolées. Des parents ne jouent pas leur rôle, à leur défendant, parfois…
Un cœur d’enfant et des yeux d’adulte
L’effroi, aussi, devant la détermination de Zain, son ingéniosité pour survivre, son cœur d’enfant et ses yeux d’adulte. Son cœur d’enfant, lorsqu’il parvient, rusé, à glaner quelques images d’un dessin animé. Ses yeux d’adulte, forgés dans les cahots de la misère d’une famille à nourrir, d’une sœur à protéger, d’un nourrisson à couver…
Ce regard dégage une invraisemblable et saisissante force à l’écran. Née, sûrement, du fait que la directrice du casting a déniché le jeune Zain Alrafeea (de son vrai nom) dans la rue, à l’image de la majorité des acteurs et actrices du film.
« Le terme « jouer » m’a toujours posé problème, et précisément dans le cas de Capharnaüm où le propos requiert une sincérité absolue. Il fallait donc absolument que les acteurs soient des gens qui connaissent les conditions dont il est question, afin d’avoir une légitimité quant à parler de leur cause. Je devais ça à tous ceux pour qui ce film servira d’étendard pour leur cause » commente Nadine Labaki.
Pourquoi ce titre, Capharnaüm ? Car il renferme tous les thèmes abordés : la violence, l’abandon, la misère et la désespérance de populations entières laissées pour compte dans ce 21e siècle angoissant ; l’espoir, également, aussi infime soit-il. Tel l’ineffable soulagement de Rahil. Tel le sourire de Zain, dernière séquence du film, qui reste -et restera- imprimée longtemps sur la rétine.
Parfois, les images disent plus que les mots. Courez donc voir Capharnaüm…