Les championnats de France de cross sont, chaque année, un moment à part dans la saison des demi-fondeurs. Focus sur les quelques instants qui précèdent le départ.
Soudain, le silence, trompé par quelques respirations bruyamment ahanées.
Une minute avant le départ. Souffler fort pour mieux se concentrer. Pour mieux libérer, expulser la tension qui embourbe et tétanise les muscles…et le cerveau.
En apnée, ou presque. 400 visages tendus vers l’horizon et le bout de la ligne droite, 300 à 400 mètres plus loin. 400 visages tendus vers leurs pieds. « Derrière la ligne ! ».
Les mains agrippées aux boxes pour mieux se propulser, pour ceux qui ont l’heur de s’être qualifiés par équipes.
30 secondes. Pour les autres, regroupés au milieu et sur les extérieurs de la ligne de départ, les coudes font office de boxes. Les France de cross, ce n’est pas qu’une histoire de jambes : le placement y est primordial.
15 secondes. C’est une histoire de souffle, aussi. Tantôt dans le rouge, tantôt dans l’orange foncé, tantôt dans le rouge écarlate. C’est une gestion permanente, pendant plus d’une demi-heure de course.
Le cœur qui tambourine dans la poitrine
10 secondes. Les murmures se sont estompés. Au loin, l’écho de la voix crépitante de Philippe Chaput se mêle à la bande-son qui chante le décompte. Quand ce n’est pas le haka néo-zélandais, c’est le tic-tact suffocant d’une montre qui fait grimper la tension (Laval en 2008 de mémoire). Enedis ferait bien d’y mesurer le taux d’électricité, un jour…
Sur la ligne, en revanche, c’est le silence total, seulement battu par le cœur qui tambourine dans la poitrine. Pas un seul mètre de couru, mais les pulsations se sont déjà emballées.
5 secondes. Les sens en alerte, comme un prédateur guette sa proie. Les yeux qui cherchent le starter pour ne pas partir trois dixièmes en contretemps. L’ouïe aux aguets, pour la même raison.
Coup de feu.
« Les fauves sont lâchés » pour paraphraser un célèbre commentateur du service public, toujours dans l’emphase, jamais dans la demi-mesure.
Si la course à pied permet de s’évader et penser à autre chose, les pensées parasites n’existent pas sur un départ de France de cross. Une ligne droite parcouru dans le total ici et le maintenant. Prendre la bonne trajectoire. Les yeux rivés et sur le sol, et sur la fin de la ligne droite. Eviter la chute, à tout prix. « Ne tombe pas », « ne tombe pas », « ne tombe pas ». Comme un mantra. Chez les seniors (du moins sur le cross long), la bête est domptée, les risques plus modérés.
« Les gars, profitez-en, ça passe vite ! »
Chez les cadets et juniors, en revanche, l’insouciance domine le félin, et le chasseur compte son gibier une sitôt les volutes de fumées évaporés. Car ça fume, un départ de France de cross, au propre comme au figuré.
C’est donc tout cela, un départ de France de cross, et c’est unique. Ça n’a rien à voir avec n’importe quel autre course, aussi relevée soit-elle. C’est LE rendez-vous de l’année, qui déplace les clubs de France et de Navare. A ceux qui jouent les premiers rôles s’ajoutent celles et ceux qui se sont entraînés toute l’année pour uniquement se qualifier et vivre ce moment si particulier.
En 2013, à Lignières-en-Berry, nous étions près du box de l’Entente Oise Athlétisme. Je me souviens encore des mots de Thierry Guibault, qui disaient à ses potes de club : « Les gars, profitez-en, ça passe vite ! » Et oui, ça passe vite.
Parfois, au cœur de la saison, la lassitude étreint le corps et ébranle la motivation. L’esprit se projette alors sur cette fameuse ligne de départ, et bien souvent, le seul souvenir de cette incomparable adrénaline suffit à vous remettre en selle.
Dimanche 10 mars, Vittel, le compte à rebours est lancé…
Photo : Capture d’écran Youtube.