La course à pied, c’est le retour émerveillé en enfance. C’est ouvrir une pochette surprise à chaque dossard épinglé.
C’est saisir cette excitation, cette appréhension, cet étonnement, constamment mêlés.
Le cadeau s’annonçait, peut-être, un brin empoisonné dimanche à Rouffach (Haut-Rhin), pour mes premiers « France » de trail (56 km ; 2 300 m d+), un mois après le GRP – Grand Raid des Pyrénées (80 km et 5 000 m) ?
En commençant à déballer la pochette, c’est, d’abord, la surprise d’une semaine sous tension. Cross, route, piste ou trail, un championnat de France est un championnat de France.
Le trail ça a beau être la nature, la montagne, le calme, les vaches, les chèvres, tout ça tout ça, une première est une première et l’inconnu est toujours enrobé de sa gangue d’inquiétude, surtout quand gronde dans les veines l’idée qu’un truc chouette se profile, sur un parcours roulant dûment repéré en début de semaine.
Une semaine sous tension, visage fermé, plus tendu qu’excité. Mais pourquoi diable se mettre dans des états pareils – qui relèvent davantage de l’incontrôlable que du délibéré ?
La surprise, c’est le suave bonheur de sentir la dissipation de cette tension le soir, veille de la course (pourquoi à ce moment-là, d’ailleurs ?). Idem le lendemain au tout petit matin dans les heures qui précèdent le départ. Sourire aux lèvres sur la ligne, le cœur qui vrombit seulement vingt secondes avant le coup de feu, sous l’effet, aussi, du son de la sono qui scande le décompte.
La surprise, qui est plutôt un soulagement, de ne pas avoir eu et la migraine et l’insomnie, cette fois-ci.
La surprise d’une course lancée tambour battant (enfin est-ce vraiment une surprise?) dans la foulée de l’international Sébastien Spheler, grandissime favori.
La surprise de constater que la météo s’est fourvoyée complet. Averses orageuses ? Le T-shirt manches longues qui colle au corps fait chauffer la caboche, dès les premiers ahanements du parcours.
La surprise de rapidement se retrouver avec l’ami forrestien Baptiste Chassagne pour quelques kilomètres, dans le second groupe, entre les 12 et 15e places. « Cela va sauter devant, non? » 13,3 km la première heure avec les premiers gros coup de cul ; devant ça doit flirter avec les 14. Il reste un peu moins de 45 kilomètres…
La surprise de réussir à gérer la première partie de course. Ne pas trop en mettre dans les montées, sulfater dans les parties roulantes, se préparer à envoyer fort les 15 derniers kilomètres qui me siéent.
La surprise de la découverte. Vous vous demandez ce qu’est le trail ? C’est faire deux kilomètres entre 17,5 et 18 à l’heure sur un large chemin forestier, à remonter les concurrent.e.s, à s’atteler à être le plus relâché possible, à amortir le tressautement des pierres pavées ; puis un piqué à droite, petite sente au cœur de la forêt, et marcher-trotter en direction du Petit Ballon (1 260 m d’altitude), les mains sur les genoux, entre 7 et 10 à l’heure.
La surprise de voir débouler, au cœur de cette ascension du Petit Ballon, une Blandine L’Hirondel VI-RE-VOL-TAN-TE, qui court dans les pentes là où tout le monde marche, et qui parvient à relancer en haut. Je finirais trois minutes derrière la championne du Monde, et bien moins frais, aussi.
La surprise – ce n’en est pas une – d’apprécier la générosité des bénévoles. Céline me remplit expressément mes deux gourdes, et me ramènera en bas mon manches longues trempé de sueur – eh oui, pas d’assistance à l’autre bout de la France.
La surprise d’apercevoir tout d’un coup, dans la bosse devant, un ancien champion du Monde (Sylvain Court) trottiner.
La surprise d’apercevoir quelques virages plus loin Sébastien Spehler marcher, toujours aux alentours du 40e. Allez, pousser la machine !
La surprise de voir que le cardio mugit toujours au-delà des 160 puls par minute et que la cervelle est maintenant en surchauffe et que les muscles spasmodiques tressautent à chaque gros impact et qu’il n’est pas possible d’accélérer comme prévu. Plutôt boire, boire, boire. Plutôt résister, résister, résister. Plutôt ne pas penser, ne pas penser, ne pas penser.
La surprise d’être surpris de ne pas tomber en descente, haha !
La surprise d’avoir pu enchaîner GRP et top 10 des France en moins d’un mois (8e au final en 4h43 à 12 à l’heure de moyenne), pour mes 2e et 3e trails (après un premier abandon inaugural au Grand Trail du Lac.
La surprise d’avoir engrangé une immense expérience en quelques semaines, sur deux formats complètement différents.
La surprise d’être encore surpris sur les prochaines courses…
Photo Nicolas Fried