Le spa, le pain, le radis – Rencontre #11 De la terre à l’assiette (Impacts Editions)
You are currently viewing Le spa, le pain, le radis – Rencontre #11 De la terre à l’assiette (Impacts Editions)

#RENCONTRE11, Ferme Piétoéti, Ogeu-les-Bains, (64), en partenariat avec la librairie La Curieuse, Arudy, jeudi 22 juin.

Un jour, au marché, un client aperçoit une botte de radis.

« 1,80 euros ? C’est cher, quand même ! »

Le maraîcher prend la botte de radis. Il la démonte ; la tend au client.

« Allez-y, refaîtes là ».

Le client, coi.

Le maraicher, chrono en main. « 70 centimes, déjà, le temps de refaire la botte. Et je vous épargne les semences, l’exploitation, l’arrosage, la récolte, tout ça tout ça ».

Pierre ne l’a pas directement vécu, un collègue maraîcher le lui a raconté. « La prochaine fois que l’on me dit que mes légumes sont trop chers, je répondrais ça ! ». Il sourit, mais ça lui fait mal quand il entend que ses légumes sont trop chers.

Pierre s’est installé avec Etienne et Thomas, il y a dix ans sur ces terres fertiles et chaleureuses du Piémont pyrénéen, vue imprenable sur les montagnes. La ferme Piétometi. De la graine au produit. Ici, le blé cultivé sur la ferme est ensuite transformé en farine puis en pain – la meunerie et le four sont aussi sur la ferme. Les légumes produits sur les trois hectares dédiés y sont directement vendus.

Le trio a été biberonné à l’imaginaire Pierre Rabhi ; à visiter pendant une année des éco villages au Danemark ; à découvrir une ferme en permaculture en République Tchèque « Tu as vingt ans ; tu rêves de l’autonomie alimentaire » résume Pierre. Il se souvient de son année en Italie, sur une petite ferme, bifurcation rapide après sa licence gestion finance.

« Sur deux hectares, de la vigne, des pommiers, des noisetiers, des oies, des poules. J’ai appris à faire des légumes et du pain, à l’ancienne. Tout se faisait sur une petite échelle. De 7 h le matin à 10 h du soir. Toutes les semaines. Tous les week-ends ».

L’imaginaire et la réalité

L’imaginaire et la réalité. L’autonomie alimentaire pour soi, oui, très bien. Mais comment nourrir une population, des cantines scolaires ? Comment avoir un impact sur la société ? Comment dès lors intriquer ses valeurs intrinsèques et la productivité, quand il y a un crédit à rembourser, des salaires et des factures à payer : bref, environ 20 000 euros à sortir tous les mois ? Comment permettre des prix accessibles pour toutes et tous, quand tout augmente ?

C’est possible si les fermes à taille humain percolent de nouveau ; si demain nous sommes un million supplémentaire à remettre les mains dans la terre, comme le chiffre la Confédération paysanne (1 587 600 d’exploitations agricoles en 1970 ; 416 436 en 2020, territoires outre-mer inclus). C’est beaucoup plus compliqué si le nombre d’ouvriers et d’ouvrières agricoles, de chefs et de cheffes d’exploitation continuent de décroître, sans que les très bientôt retraité(e)s ne soient remplacé(e)s (un départ sur deux à la retraite d’ici dix ans, selon la MSA).

Les morilles à 100 euros le kilo, pourquoi pas. Mais à qui sont-elles accessibles ? A qui sont-elles inaccessibles, plutôt ? Les fleurs comestibles, pourquoi pas, mais qui va dans les restaurants gastronomiques et étoilés ? La variété de tomate ancienne, moins productive, peut-elle nourrir une cantine scolaire ? 

« Si tu le fais pour toi en mode potager amateur, c’est très bien ; mais si c’est pour dégager un salaire, ce n’est pas viable » tranche Pierre.

Les besoins primaires

Derrière la baie vitrée, le soleil orangé chatoie sur le maïs couché par le vent.

« Vous seriez prêt(e)s à prendre la faux ?! »

Sourires. Au-dessus de la pièce où se déroule la rencontre, une mezzanine et des cageots empilés.

La discussion embraie sur les besoins primaires oubliés, se nourrir, boire, au profit de besoins (capitalistes) non nécessaires. Consommer, encore et toujours, mais pourquoi ? Quel sens de posséder le dernier iPhone ; le dernier T-Shirt, la dernière paire de chaussure ? Est-on vraiment plus heureux, plus heureuse ?

Re valoriser les besoins primaires. « Si on disait : « Tiens, dimanche nous allons désherber avec les potes avant de manger ensemble ? » ».

Sourires, de nouveau.

Déconstruire. Recréer des imaginaires. Questionner les choix politiques.

La CCHB (Communauté de Communes du Haut-Béarn) a investi des centaines de milliers d’euros dans la rénovation de la station du Somport en vallée d’Aspe (avec force spa, etc).

La déviation envisagée à Oloron-Sainte-Marie, au coût phénoménal de 92 millions d’euros (combattue par de courageuses et courageux et résolu(e)s citoyen(n)es à l’image de l’association Pyrénées Re-belles). Pour qui, pour quoi, pour quel sens ?

Budgétiser 334 000 euros (rapport de l’association Pour notre santé à Oloron-Sainte-Marie) pour une cuisine centrale et une cantine scolaire, ce n’est pas possible, vraiment pas possible ?

Quelles sont les priorités ?

L’échange se prolonge, autour du pain, des aubergines , des tomates de la ferme. C’est puissant de manger ce qui a poussé, ici, nourri par ces mains, par ces gens, par cette terre.

Comment capter des gens qui ne viennent pas ? Comment les embarquer ? Faut-il appuyer sur le loquet de la la culpabilisation au risque de braquer?

Multiplier les initiatives, partout, tout le temps. Aller à leur rencontre. Inventer. Ré inventer.

C’était l’idée de Marianne, de délocaliser la rencontre chez les « Piéto ».

Marianne, qui a justement participé de la revivification de la vie locale, depuis l’ouverture de la librairie La Curieuse à Arudy.

Les livres, comme les carottes, nourrissent les corps et la société.

Leave a Reply