C’est un sentiment étrange quand on pénètre dans l’antre du Plaza Athénée. Salle Régence : lustres colossaux accrochés aux plafonds ; piliers du siècle dernier qui s’élancent presque jusqu’au ciel ; tables en chêne massif qui ne sont pas nappées. Le décorum tranche avec le premier amuse-bouche : roquette écrasée, étonnamment relevé par une sardine, et pousse de févette.
Depuis cinq ans, le lieu est le temple de la naturalité. Comprendre : l’accent est mis sur les légumes (parfois oubliés), les céréales, le poisson. La viande ? Interdite. Alain Ducasse a lancé son concept en 2014, et le chef Romain Meder, qui a bourlingué partout à travers le globe, y pose sa griffe.
Galette sarrasin, crème fermière, que l’on saisit délicatement avec une cuillère en bois, presque celle qu’on emmène le dimanche en pique-nique, accompagnent les lentilles vertes du Puy et caviar et gelée d’anguille (que l’on n’emmène pas dans la glacière le week-end, ce coup-ci…). Le jeu des textures est délicat, minutieux.
Des poissons qui rappellent la vigueur de la viande
Le Plaza a glané ses trois étoiles. Trop simple, fallacieux ? Sur le papier. Mais c’est oublié l’idée créatrice qui sous-tend la création. Tenez : gamberoni de San Remo, asperges blanches, nèfles, jus iodé. L’asperge, blanchie puis poêlée, est tout à la fois croquante et fondante. La nèfle, ce fruit blette qui a pris le gel et que l’on cueille ensuite, avive la proposition, et n’est pas sans rappeler les différentes « vies d’une saison » que décrit Ryoko Sekiguchi dans son magnifique Nagori. La nèfle est à l’origine utilisée dans la pâtisserie, et Romain Meder a eu l’idée de le faire fermenter quelques mois. Elle se transforme alors en condiment.
La naturalité peut effrayer les esprits renfermés dans un classicisme désuet. Romain Meder a donc cherché à les attirer. Comment un poisson peut-il se rapprocher de la vigueur d’une viande ?
Première réponse : poulpe de roche de Sanary-sur-Mer, betteraves à la braise, jus d’un civet dont la robustesse galvanise même les plus férus carnivores.
Deuxième réponse : homard du Cotentin, pommes de mer cuites en papillote, raifort : quelle idée que d’utiliser les abats du homard, qui musclent la proposition !
Dans le sillage de l’inénarrable Denis Courtiade, son œil qui frise, ses bons mots et ses yeux qui pétillent ; le service n’est pas guindé comme dans certains (pseudos) grands établissements qui veulent en mettre plein les yeux et en oublient les fondamentaux.
Dessert à la bière, expérience singulière !
Place aux desserts. Si vous souhaitez une expérience singulière, ne vous tournez pas vers les pâtisseries du Tea time façonnées par Angelo Musa, mais vers les créations de Jessica Préalpato.
Cake à l’orge (à l’étonnante texture), crème onctueuse d’orge maltée, bière givrée et houblon : accrochez-vous, ça dépote ! On n’adhère pas, mais saluons l’audace de la proposition, poussée à son paroxysme, et qui tranche avec l’absence de prise de risque d’autres maisons.
Les cacahuètes des Hautes-Pyrénées et le fontainebleau de soja sont d’une fraîche subtilité, alors que le citron niçois, algues kombu à l’estragon s’avère un brin trop prononcé.
Mais le palais avait déjà été convaincu : au Plaza Athénée, les légumes, longtemps si décriés, sont érigés avec brio au rang de plat principal.
Photo de une : La Fourchette.