Avec le frangin, nous avons début septembre parcouru le GR10 sur 115 kilomètres, entre Cauterets et Saint-Lary Soulan. Quatre jours et demi hors du temps.
Le silence de la montagne. Le bruit des ruisseaux. Le tumulte des cascades. La concentration extrême lors de l’ascension du Petit Vignemale. La beauté d’un lever du soleil au col de l’Estoudou. La majesté des paysages. La puissance de la nature sur l’être humain. Le corps qui grince. Le corps qui hurle. Le corps qui s’adapte. Le partage le soir au refuge.
Récit de l’étape 4, mercredi 12 septembre, entre Barèges et le refuge de l’Oredon. 5h58, 18,2 km. 1 325 D+ ; 715 D-.
Les premiers pas d’une fin de nuit claire, par-delà le franchissement du Bastan, dissipent la sourde inquiétude entendue la veille au soir.
Ciel nuageux mais dégagé, température idoine, sensations qui, in fine, sont des plus agréables, on chemine avec un bonheur partagé au milieu des pâturages.
A Tourneboup (avec une demi-heure d’avance sur l’horaire annoncé, la journée se profile bien !) on coupe de nouveau la route menant au sommet du Tourmalet, avant de se glisser, doucement et avec délectation, dans les entrailles du massif pyrénéen. A tenter de savoir où notre chemin nous mènera. Mais la montagne recèle de surprise, et d’un virage ou presque, on se dirige d’une vallée à une autre.
Au niveau de l’embranchement du lac dets Coubous, on laisse à gauche le col de Madamète pour franchir un petit pont –mieux vaut ne pas être sujet au vertige- et se lancer dans la montée de la Hourquette d’Aubert.
On quitte momentanément le GR10. Triche ? Nous suivons en fait les conseils du patron du gîte de l’Oasis, Hervé.
Soudainement embrumé par une nuit trop courte, la fatigue accumulée et, peut-être, quelques fluides pas connus pour leurs vertus régénératrices, je sens la fatigue m’envahir : la tête cogne, le souffle se fait court, le cerveau réclame du sommeil.
Le silence, si soyeux. Temps suspendu
Mais alors que la pente se cabre brusquement, je retrouve rapidement un rythme de croisière et une gestion de l’effort propres à l’effort d’endurance qui me sied tant. Volupté de l’effort.
A une dizaine de mètres de ce premier sommet, on pressent l’immensité. De quoi, cette fois-ci, la montagne va-t-elle nous dessiller les yeux ? A l’Est, le soleil vient juste de percer le massif. Le lac dets Coubous resplendit sous son reflet. A couper le souffle.
On poursuit notre route. Soudain, plus un bruit. Le silence, alentour. Juste le bruit de nos pas. Le sifflement des ruisseaux s’est estompé, un moment. Le silence, si soyeux. Temps suspendu.
Le doux chuchotement des ruisseaux a repris. Lac de Jonquere. Les joncs forment un marécage d’une beauté stupéfiante. Les lacs s’enchaînent. Le Blanc, le Nère, l’Estagnol. Que recouvrent ces noms ? Qui les a inventés ?
On se repère à la carte, un peu ; aux cairns, surtout, voix de la montagne qui balisent le chemin.
Bruits inhabituels. Coup d’œil sur la paroi rocheuse à gauche. Trois isards apparaissent à nos yeux éberlués et enjoués.
L’enchantement se poursuit au sommet de la Hourquette. Décor féérique. Le soleil, pas encore au zénith, frappe le massif de son éclat. Il joue avec les nuages : les ombres projettent leur griffe sur la vallée, mordillent les parois rocheuses et laissent place à une imagination débordante.
Redescente, au milieu d’une mer de bloc de pierres. Pique-nique salutaire au pied du lac d’Aubert, ceint par la chaîne pyrénéenne. La fatigue se (re) fait sentir.
Les sensations sont similaires à celles éprouvées peu avant la chute en VTT de descente, fin juillet pendant la préparation marathon. Le temps se gâte : les quelques gouttes laissent place à un véritable grain. Lucidité maximale. On opte pour le refuge de l’Oredon, par-delà les sublimes Lacquettes, au lieu de pousser au gite de l’Oule, sis à deux heures de marche plus loin. Précaution. La roche, luisante et glissante à souhait, est piégeuse.
Au détour d’un sentier, un couple de personnes âgées nous propose gentiment de nous déposer au lac d’Oredon, 400 m en contrebas. (Léger) temps d’hésitation. Rouler, c’est triché !
Assommés de fatigue, une longue et suave après-midi de repos (et d’écriture !) nous attend au chalet refuge de l’Orédon, bercé par le doux claquement de la pluie.
« Le passage, chez l’homme, du pas à la course est un don qu’aucune machine ne remplacera jamais » disait Jean Giraudoux. La machine ne remplacera pas, non plus, le don de la marche. Car la mise en suspension du corps dans la course, la vitesse générée et la plus grande exigence de veiller aux écueils sur le chemin ont tendance à altérer les suaves sensations de contemplation et de méditation que caresse la marche.
Le point commun entre les deux ? A une échelle de temps et d’effort différents, les jambes frisent tout de même le même niveau d’indigestion, après avoir ingurgité tant de dénivelé.
Fin d’après-midi. Un impressionnant ballet de nuages barrent le barrage, devenu soudainement inexistant.
Début de soirée, trois coups de vent plus tard, le ciel se dégage nouveau, alors que point la nuit. Comment se forment ces mystérieux phénomènes ?
Récit de l’étape 1 : L’inconnue et l’excitation en bandoulière.
Récit de l’étape 2 : On peut se parler entre êtres humains.
Récit de l’étape 3 : Couchés, les britishs!.
Récit de l’étape 5: Plongée dans les abîmes.
Portfolio : le GR10, le temps suspendu.