Chroniques en van
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Le van, éloge du mouvement lent (21 avril)

La vie en van est une invitation à changer son rapport au temps.

L’autoroute fait défiler les paysages tel un kaléidoscope syncopé : elle accélère le temps qui déjà fuit.

Les petites départementales sont pareilles à des kilomètres secoués par les dos d’âne : elles ralentissent le cours de nos existences, les deux mains sur le volant et les yeux qui sourient au panorama.

Chaque fontaine, chaque montagne, chaque plaine, chaque façade est un morceau de vie qui a quelque chose à nous dire, si le visiteur tend l’oreille.

Le van exhorte à croquer ces instantanés à grands coups de mâchoires. Le van est une divagation. Il est l’éloge du mouvement lent : c’est-à-dire nonchalant, indolent, dans son acception première*.

La vitesse gouverne et dirige nos vies.

Les radars flashent les vans pour défaut de vitesse.

L’autoroute traverse un territoire pied au plancher.

La départementale sillonne le territoire le frein dans la main.

La vie en van change le rapport au temps.

*Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française. 4 000 pages et six kilos de culture.

De petits signes, les plus grands guides (19 avril)

Ce sont de simples petits bouts de bois, qui évitent de finir de guingois.
Quelques noms, quelques flèches, qui disent des directions.
Des choix multiples. Comme la vie en van ; comme la vie tout court : pourquoi partir à droite, pourquoi partir à gauche, pourquoi faire demi-tour au carrefour des orientations ?

Bien sûr, les applis pullulent.
Bien sûr, elles sont une aide.
Bien sûr, elles peuvent nous sortir de l’ornière.

Mais il y a de la poésie à suivre des balises, aux aguets, tracées par des personnes inconnues.

Ces phares sont des offrandes : « suivez-nous, on vous guide ». Ils offrent un autre relief à la randonnée, à la course à pied.
Le signe nous prend par la main. Et nos pieds suivent ces ombres qui connaissent ces chemins par cœur, qui d’un coup de peinture ont dessiné et cartographié la campagne et la forêt et la montagne.

Ce sont des petits signes qui valent les plus grands guides.

Une vie de solitude, une vie de partage (17 avril)

La vie en van est une vie d’ouverture : vers l’autre, vers un horizon inconnu qui ne l’est bientôt plus, bercé par l’eau de la Nive qui bourdonne, aimanté par un territoire qui se dessille sous des yeux énamourés, éveillé par les oiseaux qui chantent au crépuscule de la nuit.

La vie en van est une vie de solitude : la porte coulissante se referme et protège de la gifle du vent, de la tenaille du froid, de la pulsation de la neige en même temps qu’elle met en relief la griffe du couvre-feu.

Les cafés, les restaurants et les troquets prolongent les quatre-roues du camion. On y quête l’âme d’un village, dessinée sur les vitres embuées par les arabesques que creusent la chaleur humaine et les éclats des mots échangés.

Les sourires, les quelques paroles presque murmurées à la boulangerie, ou dans une bergerie pour dénicher l’ossau iraty, finissent par n’être que des ersatz de ce mélange des cultures.  

Rideaux fermés, portes closes, le silence de la nuit les engloutit, et nous avec, avant même le coucher du soleil.

Un soir, des amis m’invitent : passé le pas de leur nouvelle maison, une pensée me foudroie : « mais c’est grand ! »

Les verres qui tombent, l’odeur du linge frais qui tranche avec l’âpreté des fringues lavées dans le premier ruisseau venu (le Lavomatic, ça marche bien, aussi, mais c’est moins glamour), la chaleur de l’eau chaude qui coule sur une chair accoutumée à frissonner quand le gant brûlant de l’eau rencontre la froideur intérieure, les rires qui éclaboussent le salon.

Le contact humain qui réchauffe.

La vie en van est une vie de solitude mais c’est une vie de partage : Lionel, Marie, Léa, Loïc, Xabi, Marion, Steph, Lisa, des instants avalés culs sec ; Etienne, Théo, Félix, Romain, Will, Baptiste, des rires et des foulées qui s’accrochent au seuil d’une sono déchainée.

La vie en van est une vie de solitude, mais c’est avant tout une vie de partage.

L’exploration de la borne-frontière (7 avril)

C’était un jour de découverte. C’était un jour pour frayer avec l’inconnu. C’était un jour pour explorer la borne-frontière.

5 à 6 heures sur les chemins escarpés du Pays-Basque, était-il écrit sur le plan.
Dans le doux éveil de l’aube, l’impression de devancer le monde. Les sourires échangés avec les deux ou trois agriculteurs croisés sur le bord du chemin.

Boire le lever du soleil sur les pentes du Mondarrain, en direction d’Artzamendi, « la montagne de l’enfer » comme le murmurent les rampes de plus de 20% qui couchent les cyclistes sur leur bécane.

Serait-il possible de figer, pour quelques secondes, la progression du temps immuable ?
Suivre le chemin des contrebandiers, ensuite, pour descendre à Bidarray.
Les sentiers rougeâtres sont-ils encore imprégnés de ce que les gens d’ici nommaient le « travail de la nuit » (« gauazko lana »), la contrebande qui était avant tout un moyen de sortir de la misère, faire passer en loucedé de pendules, tissus, dentelles de Roubaix, cuir, pneus, liquides, animaux, roulements à billes, pièces détachés de machines, de voiture* ?

Les « ventas », à la frontière espagnole existent encore, même au cœur de la montagne reculée. L’esprit est un peu contrebandier, d’ailleurs, tout-là haut sur la ligne de crête, à bondir de part et d’autre de la frontière, matérialisée par des bornes dont le tracé remonte à la signature du traité des Pyrénées entre les royaumes d’Espagne et de France en 1659, et la délimitation exacte de la fin du 18e.

C’est que le cœur de la montagne n’est pas une frontière : c’est un point de passage, c’est la rencontre des cultures et la Guardia Civil n’est pas là pour vous demander vos papiers et votre test PCR.

Après Bidarray, en direction du Mont Baigura, les premiers doutes affleurent. Ceci est-il bien raisonnable ? Mains sur les genoux pour épouser la pente féroce, avant de toucher l’antenne relais, violentée par le vent.
« J’étais là-bas, tout au fond, il y a 2h30 ».
« Dans 1h30, si tout va bien, je serais là-bas ».
On ne mesure plus ce que nos jambes peuvent accomplir.
Les porteurs de kath ou les messagers incas qui avaient créé un véritable système postal…par la course à pied, le savaient, eux.
Mais eux ne stoppait pas leur montre pour immortaliser un sublime cheval, quitte le faire fuir, comme je me surprends à le faire, en me le rapprochant simultanément…
Comment s’alimentaient-ils, ces coureurs du transport ? Devaient-ils boire l’eau du ruisseau quitte à violenter leur ventre ?
Le temps et les kilomètres ont défilé. 61 au total. Même si je me suis demandé durant la dernière heure, à quoi bon rimait tout cela, proche de l’hypo, et de la déshydratation. Pourquoi se violenter ainsi ?
Le besoin de toucher l’inconnu, de visiter un poste frontière : ce qui était une borne, voire une barrière se révèle être une formidable ouverture, en fait.

*Lire Claude Labat, « Libre parcours dans la mythologie basque, avant qu’elle ne soit enfermée dans un parc d’attractions » (Elkar).

Le guide de la route est ce que la carte postale est à Instagram (1er avril) 

Les yeux qui louvoient, le doigt qui parcourt la D22, deux billes qui dessinent un imaginaire mental, entre Saint-Pierre-d’Irube et Hasparren, l’ouïe qui boit le parfum de ces villages et exhale la rudesse d’un macadam en montagnes russes.

Le guide de la route dresse mentalement la cartographie du voyage ; ce suave arôme de l’excitation que de découvrir ce que l’on ne connaît pas mais ce qui est là, tout près.
Le GPS expire la découverte ; le guide de la route l’exalte.

Le GPS aseptise et aveugle, le guide de la route éclaire et étincèle.

Le regard se déroule sur le Jaizkibel et Les Trois Couronnes, qui se dressent sur la carte, à la frontière ibérique, et dans le ciel, aussi, quand on lève les yeux un jour de beau temps. Ils sont là, à portée de main, mais inaccessibles en raison du Covid.
L’excitation grimpe et le bonheur jaillira quand les deux roues du vélo se poseront dans le col et glisseront un virage après l’autre.
Le guide de la route, c’est le GPS du monde d’avant. Quand les débats sur la 5G appartenaient au monde de la science-fiction.

Mais si le guide de la route est suranné, il reste immortel.

Arabesques, silex et café bouillant (21 mars) 
Au réveil, le souffle dessine des arabesques dans l’intérieur du camion devenu réfrigéré ; les mains se frictionnent comme deux silex ; l’eau bouillonnante versée sur le café est l’étincelle qui brûle le corps de vie, et qui époussette et le froid et la brise légère venu picorer la chair au crépuscule de la nuit.

Simplicité, petit bonheur et promesse d’une journée éclatante.

Le murmure intime de la vie (19 mars)
Ce jour-là, le bahut crapahute une petite heure, dans la quiétude du début de soirée, pour dénicher sa chambre idéale.
Au détour d’un lacet dans le col d’Ibardin jaillit l’emplacement qui surplombe la côte.
A l’horizon, le ciel et les nuages s’endorment dans la mer.
Les chouettes hululent, la rivière tambourine en contrebas, et des gouttes de pluies crépitent sur le toit.
Au loin, le grondement de la rumeur du monde est devenu étranger.
Au près, le naturel du murmure intime de la vie.

Le spot idéal (18 mars)
Le spot idéal, c’est l’image d’Epinal de la #Vanlife. Il faut savoir se fourvoyer pour s’en régaler.
Premier soir. Ereinté par cinq heures de trail. Le camion se gare tout seul, sitôt une place trouvée dans la morne soirée d’un fond de vallée.
Alors que l’aube ne rougeoie pas encore, les phares des camions et le bourdonnement de leurs moteurs sonnent le réveil, les yeux lourds et les muscles meurtris.
Leçon apprise.
Quelques jours plus tard, un footing de récupération est l’occasion de repérer les lieux, le long de la côte.
Vue imprenable, au-dessus d’un golf, sur l’Atlantique, le Jaizkibel et les Trois Couronnes, inaccessibles de l’autre côté de la frontière.
Le soleil s’endort pareil à une bulle orangée qui glisse entre deux montagnes, attirée vers l’âme de la terre.
Le lendemain matin, la douce berceuse des vagues qui déferlent sur le littoral chuchote le réveil.
Leçon bien récitée.

 

Rouler sur place quand le van est une vie de mouvement (17 mars)

Rouler sur place quand le van est une vie de mouvement.
C’est que, vanlife ou pas vanlife, extinction des feux à 18 heures.
En pleine finalisation du Forrest, je débute mes trois heures de vélo à…16 heures. Je remise mon grand Tour du Pays Basque. Echauffement dans la vallée puis montée d’Ispéguy. Des cyclistes, des voitures contournent le panneau « route barrée » sur la moitié droite de la route et s’engagent dans la descente, côté ibérique.


La frontière* est un dérivé, depuis 1213, de front (faire front).
Si le Covid est une place forte, à quel ennemi fait-elle front ?

Certains des fantassins de l’épidémie combattent avec des arbalètes : le restaurant en haut d’Ispéguy est ouvert, et l’approvisionnement en pastis reste toléré – un peu à l’est et à l’ouest, les douaniers arrêtent les voitures quelques dizaines de mètres après les immenses stations-services…
J’ai le souvenir d’un petit village authentique, en bas d’Ispéguy, Eratzu. Il n’est que 17h15, après tout.

Mais on raconte, en venant chercher un plat à emporter, en taillant le bout de gras à la boulangerie, ou en parcourant les réseaux : amendes à 600 balles pour les impétrants par trop aventureux. Légende urbaine ?

Je suis pacifiste, au fond, et de plus en plus sage -après tout, 600 balles, « ça fait quand une belle paire de roues » se marre un acolyte cycliste, et les miennes pourrissent.

Demi-tour, descente à trente à l’heure, les pognes collées aux freins, sur une route mouillée, le vide sur la droite et le vertige au cœur –c’est décidé, je resserre enfin mes freins en rentrant.

Une heure de home trainer, pour finir, donc, devant le camion, devant la Nive qui papillonne, langoureuse, devant l’Eglise qui cloche toutes les trente minutes.

Les lampadaires s’allument, le rideau du Spar s’abaisse alors que celui des restaurants n’a pas été hissé, quelques ombres bravaches traversent les mornes places vides, et les petits villages vivants de la vie d’avant s’accoutument à se mouvoir dans les draps de la nuit un peu plus tôt, depuis un an maintenant…

*Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française. 4 000 pages et six kilos de culture.

Les barreaux et l’échancrure du pare-brise (16 mars)

Le van est un espace très réduit mais c’est une fenêtre sur l’ailleurs.
La porte coulissante s’ouvre, les mains tendues vers l’horizon boivent l’infini du monde et les yeux touchent l’inconnu qui ne demande qu’à être dessillé.

Quand le ciel, sombre et renfrogné, lâche ses rideaux de pluie ; quand le froid, vif et flamboyant, mordille la chair, la fenêtre redevient une porte fermée.

Les murs de la maison sont plus confortables, se dit alors l’esprit cafardeux, que l’échancrure du pare-brise qui tient lieu, désormais, de barreaux.

Un dimanche matin (15 mars)

Un dimanche matin, les yeux lourds d’une soirée bien arrosée
L’esprit gagné par l’excitation
Trois heures de virée
Pour garer sa maison au départ de la station

Lancé pour cinq heures de twist
Effleurer l’ocre de la terre battue
Chaperonné par un chien qui renifle la même piste
Bonheur de s’affranchir du parcours prévu

Le cœur frappe le ventre crie famine la tête chavire
Les palombières sont des boussoles, désormais
Il est 14 heures, seules trois tartines et les remugles de la veille pour le pire
Demi-tour respirer sans s’affoler pour suivre la farandole

Marcher chancelant dans la pente escarpée
Au sommet, emmailloté par le brouillard
Les yeux fatigués, l’insigne manqué
Les vols des vautours comme phares

Une ferme isolée, typique des couleurs basques
« C’est par où Banca, s’il vous plaît ? »
« On y est », les yeux qui sourient frasque
« L’église ? Suivez la route, en lacets »

Tombé nez à nez
Sur la voiture du propriétaire du chien
Langue pantelante et maître soulagé
De retrouver son fidèle soutien

Deux allers retours de 50 mètres devant le van
Symbole Strava et Instagram
La distance du marathon en montagne
Pic et pic et colégram

Signe de nos egos démesurés
Bour et bour et ratatam
Douche glacée pour décuver
Vie qui crépite et qui brame.

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