Marche ou crève : quand la marche athlétique fait sa révolution
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Technologie en lieu et place du jugement de l’oeil humain, introduction des zones de pénalité, la marche athlétique est en pleine réflexion. L’enjeu ? Se réinventer pour ne pas mourir.

Mai dernier, coupe du Monde par équipes à Taicang en Chine. Robert Korzeniowski, quadruple champion olympique et triple champion du Monde du 50 km marche, présente à l’assemblée un objet révolutionnaire : une semelle connectée capable d’établir si l’athlète est en suspension, ou pas.

La marche athlétique repose sur deux règles fondamentales : l’athlète doit être constamment en contact avec le sol (au bout de trois cartons rouges, il est disqualifié) et la jambe qui avance doit obligatoirement être tendue. L’œil humain fait foi.

Sauf que les images vidéos slow motion démentent bien souvent la première règle.

(Saurez-vous reconnaître les coureurs des marcheurs ?)

Il y a environ quatre ans, l’université de technologie de Catalogne a donc proposé à la Fédération internationale (IAAF) cette semelle connectée, renseigne Robert Korzeniowski, qui commente les championnats d’Europe de Berlin pour Eurosport.

« On sait très bien que le temps de suspension zéro n’existe pratiquement pas » explique t-il.

« Récemment, sur une compétition que j’organisais, deux femmes étaient au coude-à-coude. Il était difficile de juger laquelle des deux courait plus que l’autre… » se lamente l’ancien marcheur.

Il est question de relier les données envoyées par la semelle –très fine, elle se glisse sous les semelles des chaussures (1)– à la montre. A la manière des montres connectées, en somme.

L’outil est breveté et se perfectionne. Il n’est pas commercialisé et ne sera pas opérationnel pour les Jeux 2020. Surtout, reste à (re)définir les règles afférentes.

Quel degré de tolérance ?

Tolérance zéro ? Si la montre détecte un temps de suspension, l’athlète est-il automatiquement averti ?

Un temps de suspension sera-t-il toléré ? Si oui, à quel curseur le placer ? Faut-il établir une tolérance basée sur la moyenne d’un temps de suspension moyen par kilomètre, ou par tour de circuit, interroge Pascal Chirat, référent marche auprès de la Fédération Français d’Athlétisme (FFA) ?

« Il faudra trouver un moyen pour savoir à quel moment la perte de contact au sol donne un bénéfice supplémentaire à l’athlète » analyse Robert Korzeniowski.

« Pas les derniers militants de la marche à l’ancienne »

Question : les athlètes pourront-ils avoir accès à ces informations en live ? Et de fait, pourront-ils réguler leur allure ? Ou ces informations seront-elles uniquement à la disposition des juges ?

« La discipline doit être transparente, avec des règles compréhensibles par tout le monde si on veut vraiment développer la marche à travers le monde, comme la course à pied l’a fait. Il nous faut aussi des moyens pour intégrer la marche aux évènements de masse » glisse Robert Korzeniowski.

Yohann Diniz aux championnats de France de 20 km en mars à Mérignac

L’idée, à terme, est que le marcheur lambda puisse savoir s’il est dans les règles, grâce à cet outil. Qui permettrait aussi de faciliter l’organisation de compétitions amateurs, où « il faut des arbitres certifiés », où « on ne peut pas faire de grands circuits en ville » regrette le Polonais, qui assène : « On ne veut pas être les derniers militants de la marche à l’ancienne. Ça serait stupide ».

Tournant

La marche athlétique est à un tournant. Son avenir olympique –surtout le 50 km- est en suspens pour l’après Tokyo 2020. Un comité présidé par l’Italien Maurizio Damilano, double champion du Monde et champion olympique sur 20 km, a listé les écueils actuels : panne de crédibilité après les multiples cas de dopage ; désintéressement du jeune public et des télévisions.

Depuis la Coupe du Monde par équipes de Taicang, en mai dernier, « une 4e chance au marcheur » est désormais offerte à l’athlète lorsqu’il a été averti de trois cartons rouges. Au lieu de se voir disqualifié, il doit patienter dans une zone de pénalité : une minute par tranche de 10 kilomètres (donc cinq pour un 50 bornes). Le système sera utilisé pour les Mondiaux 2019 à Doha.

Quand la discipline fait parler d’elle, les réseaux sociaux se moquent des soucis gastriques de Yohann Diniz, à Rio. « C’est du mauvais buzz » dit Pascal Chirat. « Les parents qui voient ça ne vont pas inciter leurs enfants à faire de la marche » pense t-il.

Un relais mixte ?

Le comité avait ainsi proposé pour Tokyo 2020 de modifier la nature des épreuves : transformation des 20 km homme et femme en un semi-marathon (peu ou prou la même chose), mais surtout, disparition du 50 km masculin au profit d’un relais mixte de 4 x 5 000 mètres (disputé sur la piste et non pas sur route). Des relais mixte de plus en plus présents dans les sports olympiques (natation, triathlon etc…).

Le conseil de l’IAAF, qui a le pouvoir de décision, a retoqué ces propositions en avril 2017 – une soixantaine de marcheurs avait milité contre la suppression du 50 km. Le 50 km masculin a été maintenu et son pendant féminin a été inclus au dernier moment aux Mondiaux de Londres l’été dernier.

L’épreuve est mixte. 6 concurrentes avaient été classées à Londres ; 14 à Berlin. La Portugaise Ines Henriques s’est imposée à ces deux occasions. Il se pourrait qu’un 50 km féminin soit intégré au programme olympique à Tokyo, mais rien n’est encore officiel.


« Il faut toujours se demander où on l’on va » contextualise Robert Korzeniowski. « Cette compétition simultanée dévalorise un peu les femmes. (A Berlin), la télé n’a montré presque que les hommes. C’est un peu du bricolage et c’est triste ».

De quoi relancer l’idée du relais mixte ? « On discute, je ne peux pas en dire beaucoup plus. Personnellement, je pense que ce relais mixte serait une bonne solution ».

Photo de une : Emilie Menuet lors des Mondiaux de Pékin en 2015 (Photo Q.G).

(1) Les premiers tests avaient été effectués avec des capteurs sur les chaussures elles-mêmes. Mais le système n’était pas viable devant la disparité des chaussures utilisées.

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