Jamais, en 107 éditions, le Tour de France n’était passé à Echiré, commune de 3 500 habitants où j’ai grandi. Comme l’enfant qui déchire son papier cadeau, et qui découvre, les yeux ahuris et excités, le jouet tant attendu, les portables ont vibré à l’annonce du passage du Tour, lorsque le parcours a été dévoilé dans les salons parisiens voilà un peu moins d’un an.
C’est une histoire dans l’histoire que de parcourir, à vélo, les kilomètres de l’étape le matin-même, ce mercredi 9 septembre.
L’air frais qui fouette le visage, qui hérisse les poils des jambes ciselées, rouler plus vite que le lever du soleil pour se réchauffer.
Les lueurs du jour qui effleurent les arbres, ces rayons du soleil qui découpent les silhouettes de ces retraité.e.s, ombres chatoyantes qui s’immiscent entre les tables des campings cars, aux couleurs de la Vendée, aux couleurs de la France, alignés à l’entrée d’Echiré, dans la bosse de Cherveux, comme des petits pains tout juste sortis du four et disposés délicatement en vitrine.
L’Equipe déplié sur un coin de table. Le cœur qui se pince, en feuilletant le canard, six lettres qui se dévident au milieu de l’itinéraire de l’étape : Echiré. L’adrénaline qui monte à l’observation de ces camions logistiques qui défilent et ces employés masqués qui montent à vitesse grand V les grandes arches du maillot vert, celles du maillot à pois, escortés, on ne sait pourquoi, par du personnel de sécurité privé.
Les journaux locaux en édition spéciale : la dernière fois que le Tour est passé dans le département, c’était en coup de vent en 2008. La dernière fois que le Tour y fut ville étape, c’était en 2003, à Saint-Maixent-l’Ecole.
Avant ? …1950, à Niort.
Les promesses non tenues d’une arrivée à Bressuire, dans le Nord du département, en 2007, repoussée l’année d’après, puis l’année d’après, puis l’année d’après.
Deux fois ville étape en plus de cent ans d’existence : le Tour de France n’a pas le béguin pour les Deux-Sèvres. Mais comme une grande majorité de Français, les Deux-Sévriens ont le béguin pour le Tour de France.
« C’est aujourd’hui notre Tour » roucoule le Courrier de l’Ouest. De grands panneaux « beurre d’Echiré » habillent des bottes de paille, à l’entrée de la commune. A Cherveux, les gamins sont excités dans la cour de récréation, fleurs rouges et blanches en papier crépon accrochées le long du muret. Une dame décore son balcon ; un drapeau français flotte au vent.
Le Tour arrive et les communes s’apprêtent pour son passage.
Des employés des communes et du département s’échinent à effacer des inscriptions au sol, étalées sur des dizaines et des dizaines de kilomètres de l’étape : « Non aux bassines » (1). La France n’est-elle pourtant pas le pays roi de la liberté d’expression ?
Au détour d’un virage, en pleine campagne, un drapeau blanc de l’horloger-sponsor Tissot tapisse un bout de champ. L’agriculteur a-t-il eu son mot à dire ? L’hélicoptère n’hésitera pas à zoomer, le moment venu, sur ce fanion blanc qui offense la campagne deux-sévrienne, mais ravira les décideurs : ces images télé chargées de montrer la beauté de l’Hexagone, pas ses aspérités, aux millions de téléspectateurs.
La cour pour le Tour
Le Tour est cette dulcinée si désirée par ces villages et communes qui tapissent la France entière. Ces bourgades lui font la cour : le macadam, refait, luit sur de nombreuses sections du parcours.
Au milieu d’un faux plat montant, un peu avant Cerzeau, une inscription : « Julian et Marion », entourée d’un cœur. Un peu plus glamour que le dessin polémique dans l’Huma –caricature pas réussie mais qui traduisait la possibilité d’un conflit d’intérêt.
« Elle est belle mon inscription ! » lance au loin une femme, tout sourire.
Dans les campagnes, les mains se tendent, les sourires éclaboussent les visages à la vue de ces cyclistes éclaireurs, qui prennent le pouls de l’étape du jour. Hier, demain, ces mêmes cyclistes se feront-ils klaxonner car ils encombrent le macadam ?
A Cerzeau, Romain Bardet a ses fans de la première heure. Un homme a refait sa maison à l’effigie du champion français. Il termine le travail sur le toit : « Romain Bardet en jaune à Paris ». Trois jours plus tard, Bardet rentrera, groggy et commotionné, chez lui à Royat.
Dans le Nord du département, en pleine cambrousse, les chèvres et les vaches paissent en toute quiétude.
A l’entrée d’un champ, au cul du coffre, arbitrés du soleil par un arbre centenaire, une table, deux chaises, deux tasses de café, le journal déplié, un transistor. Un peu plus loin, un couple de retraités. Même photo, mais le tandem est accroché à son téléphone portable. Il n’est pas question de Covid. Il n’est pas question de dopage. Il n’est pas question de moteur dans les vélos. Il n’est pas question d’écologie. Il est 9 heures et quelques, le Tour passera à 16 heures.
Bal des musettes
Retour en sens inverse. Des grappes de policiers sont parachutées à chaque carrefour.
Les mains s’agitent au passage de la caravane. Les intérimaires d’un mois sont debout dans leur voiture futuriste, qui jettent d’inutile goodies (sauf l’eau salvatrice, voire les échantillons de lessive) et saluent la foule, la peau tannée par les cinq à six heures à rôtir au soleil depuis dix jours.
Les zones de ravitaillement sont interdites au public, COVID oblige : et si un.e imprudent.e venait à toucher le bidon d’un coureur positif ? La police et la sécurité privée, en plein milieu d’un champ, surjouent.
C’est une étape de transition. Vent de face, les coureurs sont en retard.
« Ils sont là dans dix minutes » croit savoir un vieil homme. Quinze minutes plus tard, le même jure : « Ils sont à Saint-Rémy, à 10 kilomètres de là ».
Un essaim d’hélicoptères traverse le ciel bleu azur, zébré par quelques traces d’avion.
Tout au bout de la route, à un kilomètre à l’horizon, une kyrielle de motos surgit. Le long serpentin s’étire et le cœur tambourine.
Le bal des musettes et des bidons gigote dans les bas-côtés. Puis s’ébrouent les voitures suiveuses : la course est tranquille, la pédale d’accélérateur n’est pas enclenchée à fond et les freins ont l’heur de récupérer. C’est la chasse aux bidons, précieuses reliques cachés dans une brousaille que le préposé de l’organisation a manqué de collecter, une fois que les cerbères ont libérer la route aux autochtones.
Au replay, le fier sourire des habitant.e.s d’entrevoir à travers le petit écran sa ville d’origine chantée, son beurre érigé en modèle dans le monde entier, ses châteaux magnifiés par la vue aérienne. D’entendre les commentateurs balbutier une tentative de réponse face au pied-de-nez des agriculteurs du coin, qui ont dessiné un rébus avec leurs bottes de paille : « Les Deux-Chèvres ».
Deux heures d’attente, dix secondes de course, un coup de chaud.
Mais le mythe du Tour, cette machine implacable qui invite les communes à revêtir leur plus belle robe de mariée, cette course patrimoine qui brasse des millions et qui loue la ruralité, est passé à Echiré. Rendez-vous dans 107 ans ?
(1) Renseignement pris : https://bassinesnonmerci.fr/