Zone mixte : au coeur du réacteur
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Tribune de presse des journalistes radio, placés un étage en-dessous de la presse écrite

Vous lisez tranquillement votre canard au petit dej’. Pardon, vous êtes de jeunes lecteurs connectés, donc vous lisez sur votre smartphone. Mais vous-êtes vous déjà demandés comment les journalistes travaillaient et recueillaient leurs infos lors des grands championnats ? « En coulisses » vous embarque !

L’étape incontournable, c’est de s’accréditer les mois précédents, auprès de la Fédération concernée (Européenne pour un championnat d’Europe ; IAAF pour un Mondial). Ensuite, retirer le précieux badge lorsque vous arrivez sur le site de la compétition.

Comme au photomaton, vous devez prendre la pose au moment de retirer votre accred’

Les numéros vous donnent droit aux accès réservés. Plus vous avez de numéros sur votre accréditation, plus vous avez de l’importance. Le top du top, c’est le « All Access », de 1 jusqu’à 12.  Bon là, numéros 7 et 8, les plumitifs peuvent mieux faire…

Comme à la loterie, cochez les numéros

Le 7 correspond au MCC : le Main Media Center. Oui, on parle anglais lors des grands championnats. Le MCC, c’est le centre des médias. Il jouxte le stade olympique : entre les sessions du matin et du soir, ce sont là que les journalistes (et les photographes) bossent. Les conditions de travail sont idéales. Accès aux listes des engagé(e)s, aux programmes de la compétition et, surtout, à la machine à café (heureusement que les autorités antidopage n’ont pas encore interdit le précieux breuvage) !

Le centre des médias

De lundi à jeudi, canicule oblige, il fallait sprinter lorsque le frigo était réapprovisionné en petites bouteilles Vittel de 25 cl. Ou faire quinze minutes de queue pour se rafraîchir cul sec le gosier d’une bière à cinq euros…Vous avez beau avoir tous les numéros sur votre « accred’ », il n’y a pas un laisser-passer pour la buvette !

Retour à nos (vrais) chiffres. Le 8, c’est l’accès à la tribune de presse, où chaque média a une position attitrée.

Généralement, les journalistes sont placés entre nationalités. Cadre de travail là-aussi agréable : les yeux oscillent entre l’écran d’ordinateur, les écrans de télé à droite et à gauche de votre position et, bien sûr, la piste théâtre des championnats. Les tympans, eux, alternent entre le bourdonnement du public et les vociférations du speaker (ou bien les deux à la fois), et les paroles des athlètes tous juste recueillies et remâchées dans le casque audio.

A Berlin, la tribune de presse est sise à mi-hauteur du stade, et l’œil est plutôt éloigné du tartan. A Zurich il y a quatre ans, la tribune de presse offrait une vue imprenable sur la ligne d’arrivée.

Plaisante cavalcade ou interminable procession

Sitôt leur course achevée, les athlètes en entament une deuxième avec les médias. Selon la performance, cela tient soit de la plaisante cavalcade, soit de l’interminable procession…

En zone mixte, tout est codifié. Les télés, au premier chef desquelles France Télévisions et la BBC qui paient -parfois chers- les droits de diffusion, pourraient presque tendre leurs micros sur la ligne d’arrivée tellement elles en sont proches.

Les athlètes serpentent ensuite des télés jusqu’aux radios. De là, ils glissent dans les entrailles du stade olympique et rejoignent la seconde zone mixte. Dernières interviews face caméra avec les médias audiovisuels non détenteurs de droits (TF1, Infosport+, etc…), puis place aux gratte-papiers. Enfin, des questions pertinentes ! Blague à part, la plupart des journalistes de presse écrite suivent les athlètes tout au long de la saison, et les questions sont souvent plus précises que les médias audiovisuels.

Le même discours répété vingt fois en vingt minutes

Comme en tribune de presse, des “pools” s’instaurent, par pays. Car si en plus chaque journaliste devait interviewer en “one to one” un athlète, on ne serait pas sorti. Remarquez, les “one to one” sont toujours possibles. Mais dans ce cas, ce n’est pas bon signe pour l’athlète, inconnu au bataillon..

Jeudi soir, une bonne dizaine de journalistes français se pressaient ainsi carnets et stylo en main, portables ou micros tendus, autour de Mahiedine Mekhissi, après sa facile victoire sur 3 000 mètres steeple.

Les journalistes ne manquent pas d’humour

On moque souvent les sportifs aux discours lénifiants. Il faut parfois se mettre à leur place. Un(e) médaillé(e) va ainsi faire le tour des médias de son pays -s’il a la cote, tel un Pierre-Ambroise Bosse, les médias étrangers vont aussi l’alpaguer- et répéter peu ou prou la même chose vingt fois en quelques minutes…Dimanche, Clémence Calvin s’est ainsi présentée devant la presse écrite près d’une heure après son marathon.

Un journaliste lui demande si elle est déçue, car son visage est las. Réponse de l’intéressée, en substance : “C’est que vous ne m’avez pas vu répondre aux télés toute à l’heure ! Je me suis un peu éteinte au fil des interviews…”

Journalistes ou supporteurs ?

La zone mixte offre des scènes baroques, parfois. On l’a dit, certains journalistes suivent la carrière d’un(e) athlète depuis leur début, et de facto, une proximité s’instaure. Garder la bonne distance n’est pas toujours aisé. C’est humain.

Si bien que de poignées de main ou de “bonjour” respectueux, la frontière est parfois ténue avec les accolades, les bises qui claquent, les tapes sur l’épaule ou les félicitations un peu trop marquées en cas de médaille.

Pour rallier la zone mixte, il faut montrer patte blanche, plus petite

Vendredi, les journalistes suisses ont littéralement exulté en tribune de presse, avec force congratulations, dans la foulée de la victoire de leur compatriote Léa Sprunger sur 400 m haies.

Journalistes et/ou supporteurs, journalistes et/ou attachés de presse, la question est complexe et ne date pas d’aujourd’hui…

Jeu de piste et contre la montre

Parfois, la zone mixte éructe, selon les contraintes de chacun. Cas concret.

Vendredi 10 août, Pascal Martinot-Lagarde gagne l’or à 21h50 sur le 110 m haies. Il savoure, fait un tour d’honneur avant d’arriver au micro de France TV. Tournée des télés puis des radios. Logiquement, il profite, prend son temps.

Problème. Les rédactions, notamment les quotidiens régionaux (Sud Ouest, Ouest France, La Voix du Nord, Le Progrès, Le Parisien etc…) bouclent leurs premières éditions aux alentours de 22h45 –L’Equipe peut pousser jusqu’à minuit, une heure où certains de leurs valeureux confrères, le gosier soudain moins sec, refont déjà la soirée au premier troquet déniché. Les papiers doivent donc être envoyés autour de 22h40 maximum.

Problème numéro 2. Comment faire lorsque Martinot-Lagarde se pointe à 22h30 en zone mixte, côté journalistes presse écrite ?

Du coup, quand les télés, ou les chaînes non détentrices de droits s’éternisent avec un athlète, vous avez compris pourquoi ça peut bouillonner entre journalistes. “On a un bouclage, nous !”

Le père et coach des frères Ingebrigtsen répond à une meute de journalistes, au déboté en pleine tribune. Est-il question de sang de tortue ou lait de renne bravement dénichés par les Norvégiens?

Certain(e)s restent calmes en toutes circonstances, d’autres vocifèrent facilement. Ça s’égosille auprès des attaché(e)s de presse, dont le boulot est alors précieux : prendre l’athlète par l’épaule, presque le forcer à se rapprocher des plumitifs.

Ou bien batailler pour qu’un coach qui a vu son athlète médaillé(e) descende en zone mixte, car des journalistes le demandent.

Parfois, ce sont les journalistes qui apprennent aux athlètes une (dis)qualification. Parfois, l’athlète, désillusionné(e) a jusqu’alors résisté tant bien que mal, mais craque devant la presse écrite, en bout de chaîne. Le ou la journaliste doit alors faire valoir ses fines qualités de psychologue…

Une fois les réactions recueillies, le contre la montre est lancé. D’abord, remonter en tribune de presse. Souvent, c’est un vrai jeu de piste, entre couloirs, escaliers, ascenseurs.

Vue depuis le bord de la piste. Il faut passer à travers la foule pour remonter en tribune de presse

A Berlin, il faut traverser la tribune basse. En fin de session, vous êtes donc nez à nez avec la foule qui, guillerette et repue du spectacle proposé, quitte le stade d’un pas engourdi. Et n’a pas conscience qu’un journal du lendemain joue (presque) sa survie.

Vendredi, ça bouchonnait dans les escaliers, et on bien cru qu’un journaliste bulgare (qui aurait été sanctionné pour un passage en force au handball) allait se mettre sévère sur la gueule avec un autre homme de l’Est (désolé, on n’a pas reconnu l’accent).

Les pulsations à 180 et le cerveau lactique

Après avoir grimpé les 125 marches (Alain Goujon, de Sud Ouest, les a comptés ; merci à lui) qui séparent la zone mixte de la tribune de presse, les pulsations à 180, il faut dérusher (dans le jardon, retranscrire les propos enregistrés) et vite envoyer son papier qui, généralement, a été préparé en amont.

Vous ne le savez sans doute pas, mais souvent, plusieurs versions sont écrites, compte tenu des timings (très) serrés. Une si Bosse est champion d’Europe ; une autre s’il ne l’est pas.

La zone mixte

Là où ça se corse, c’est quand l’imprévu fait voler en éclat toutes les prévisions.

Exemples 1 : un concours de muerte à la perche tel que celui de dimanche avec quatre sauteurs qui s’attaquent aux six mètres.

Exemple 2 : Mahiedine Mekhissi disqualifié à Zurich après avoir enlevé son maillot. Vous attendez bras ballants les décisions officielles, les minutes s’égrènent, les rédacs chefs et SR (secrétaires de rédaction, qui mettent en page les articles) s’impatientent.

Là, ça tangue, le cerveau vrombit, le lactique cogne aux tempes et les rotatives s’échauffent à des milliers de kilomètres. C’est comme si vous étiez athlète : vous êtes à bloc, l’arrivée est à 100 mètres mais la ligne subitement, migre vingt mètres plus loin, et vous devez absolument tenir.

Bref, démerdez-vous, mais remplissez ces maudites lignes !

Bonus :

Ah, ces photographes !

 

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