Comment concilier vie sportive et vie professionnelle ?
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Photo Christophe Dauphin

Voguer entre vie d’athlète et vie professionnelle (sans même parler de la vie sociale), est un défi auquel sont confronté(e)s de multiples coureurs(euses) à pied. 

La plupart des athlètes le savent : la course à pied est une vraie passion dont celles et ceux qui parviennent à en vivre se comptent sur les doigts de la main.

Bien souvent, donc, les jeunes athlètes se heurtent à ce dilemme : faut-il tout lâcher pour se consacrer pleinement à la course à pied ? Faut-il, au contraire, mettre la priorité sur les études et le travail, moins s’entraîner, et corollaire, être moins performant ? Comment trouver le juste milieu ?

J’ai été confronté à ce choix cornélien à de multiples reprises.

Au lycée, d’abord. En section sport-études, j’aspirais à entrer à Sciences Po, avant, voie dite royale pour les journalistes, de passer le concours d’entrée en école de journalisme. Oui, mais.

Je me suis vite aperçu, au cœur de l’année du Bac lorsque je préparais au sprint et en apnée le concours de Sciences Po, que le rythme était quasi intenable avec les entraînements quotidiens. Résultat ? Asphyxie mentale et physique.

Le choix a été rapide : ce sera une licence info-com à la Fac.

Je me DOIS d’être performant

Cette année-là, je rentre au pôle espoir à Talence : les conditions sont donc pleinement réunies, même si je rentre tous les week-ends sur Niort pour travailler au Courrier de L’Ouest.

Les débuts sont prometteurs : je suis à trois places et une dizaine de secondes d’être sélectionné pour les championnats d’Europe de cross.

Dans la foulée, une fracture de fatigue vient freiner ma progression. Surtout, je m’inflige une inutile pression : puisque j’ai fait le choix de privilégier l’athlétisme par rapport aux études, je me DOIS d’être performant. Pile la recette pour se planter !

Je me souviens m’être dit après avoir établi le calendrier de la saison sur piste : j’ai cinq courses programmées, donc cinq chances de claquer ce foutu chrono. Puis, plus que quatre. Trois…Et zéro.

Aussi, il m’est souvent arrivé de penser aux potentielles conséquences d’une hypothétique grosse performance tant désirée. Là encore, les ingrédients sont dûment mijotés pour un plat bien indigeste ! C’est un cercle vicieux : plus on court après un chrono, plus il vous échappe ; et plus vous arrivez avec un nœud à l’estomac, ou dans les jambes, sans vous en rendre compte, à la course suivante.

La clé ? Restez dans l’instant présent, se focaliser sur la manière dont on va construire sa course. Le reste suivra tout seul…

Ces longues années parsemées de quelques éclaircies suivies de tempêtes sous un crâne ont donné corps à pléthore de remises en question. Et souvent, au creux de la vague, cette funeste interrogation en forme de culpabilité qui vous assaille : et si j’arrêtais ? Combien, in fine, de moments de vie manqués pour un France de cross achevé dans les oubliettes, sans avoir pris une once de plaisir ? Combien de soirées escamotées à la Fac pour cause d’entraînement le lendemain (bon, mon foie m’en remercie peut-être aujourd’hui) ? Combien de potes esquivés à 23 heures pour filer, peu glorieux, enquiller ses neuf heures de sommeil pendant qu’ils s’émoustillent sur les pistes de danse ?

Le goût du jeu

Je ne me suis pas, aussi, facilité la tâche. En sus d’avoir détecté tardivement une farouche intolérance au gluten et la nécessité de lancer un (longue) désensibilisation aux pollens, je devais dissocier et le journaliste, et le coureur que j’étais, en tant que pigiste puis salarié de VO2 : j’écrivais sur des athlètes qui étaient aussi des adversaires sur des championnats de France.

Combien de fois ai-je été plus spectateur qu’acteur de la course, avec des phrases ou des titres de papier qui surgissaient au milieu de la noyade générale – ce fut le cas par exemple aux championnats de France de cross au Pontet, en 2014.

Et si j’arrêtais donc ? Il faut quitter le corset d’un mental bridé par ces pensées néfastes pour retrouver le goût du JEU. Sortir, un temps, de son sempiternel plan d’entraînement et obéir à ses seules sensations. Retrouver l’enfant qui sommeille en vous. Se mettre minable sur un footing si le cœur vous en dit. Partir sans montre, accélérer en laissant vos jambes vous transporter. Se rappeler qu’une bonne sortie avec les potes au cœur d’une journée d’hiver ensoleillée, c’est quand même pas mal.

S’offrir des respirations : le vélo (à condition de ne pas oublier le casque, les coudières, les genouillères et l’airbag…), la natation, un autre sport…

Fatigue mentale : 4e des territoire de cross, le 4 février dernier, et des sensations en berne (Photo Christophe Dauphin)

Le déclic s’est produit à l’automne 2017. Quelques semaines auparavant, fin d’août, je percute une voiture dans la descente du col de Marie-Blanque, en vélo. Les objectifs automnaux s’envolent. En parallèle, je prends un virage professionnel. Quatre mois de formation intensive à la Street School à Paris. Pour la première fois, l’athlé passe au second plan. Je ne m’entraîne plus « que » cinq à six fois par semaine. Plusieurs fois, la forme en berne après les semaines de repos forcées suite à la chute, l’envie de boire des bières avec les potes de la formation plutôt que d’aller s’entraîner le soir, dans le froid et le long d’un périf mortifère, me traverse l’esprit.

Je me souviens d’une séance. Avant de sauter dans le train pour un aller-retour express à Bordeaux, 5x  1000 m en solo un vendredi de fin novembre. Petit vent bien frais, la nuit qui tombe doucement sur les blocs de béton alentour, les volutes des échappements des milliers des voitures qui vous serrent les poumons, les klaxonnent qui vous brisent les tympans, seul sur une piste sans âme, je me demande clairement ce que je fous là.

Un même chrono : deux états de forme opposés

Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? La flamme de la bougie vacille, quand même… Je sens que la bascule est proche mais je résiste, bien aidés par les copains de l’Ao Charenton, groupe avec lequel je me suis entraîné durant la formation.

Il me faut un objectif. Mi-décembre, 10 kilomètres d’Issy-les-Moulineaux. Dans l’inconnu, pas trop en forme donc, je prends un plaisir pas éprouvé depuis bien longtemps sur la distance. 31’28’’. Soit peu ou prou le même chrono réalisé une dizaine de fois par le passé, alors que j’étais bien mieux entraîné et obnubilé par la quête des 30’.

Marathon de Valence. Souvenir de suaves et diaboliques sensations

Au cœur du printemps 2018, le dilemme se pose derechef. La course à obstacles des piges a débuté et une certaine usure en course à pied se fait sentir. Partir à l’étranger ? Ne plus se fixer d’objectif en course à pied, seulement s’offrir quelques sorties pour le plaisir ? Ouais, mais quand la compétition vous a aiguillé depuis tant d’années…Quand le souffle de l’adrénaline vous parcourt l’échine, au départ des France de cross…

Sans attente, sans objectif, sans me sentir concerné au départ, je termine 13e des championnats de France de 10 km à Liévin, mi-juin, après être passé à côté deux semaines avant aux 10 km de Paris, en quête d’un chrono là encore illusoire. Il y a encore quelque chose à faire…

Le marathon est une respiration bienvenue. Médoc puis Valence, donc.

A quoi bon faire tous ces efforts ?

Valence, qui a complètement changé la donne. Je replonge, la tête la première.

J’ai choisi de mettre l’accent sur la course à pied à moyen terme : en gros, je mets tout en œuvre les prochains mois pour voir ce dont je suis capable sur la distance. C’est un investissement quotidien, et pas seulement sur une prépa d’une dizaine de semaines. Car pour aller vite sur marathon, il faut aller vite sur semi-marathon. Il faut aller vite sur 10 km. Il faut aller vite sur 5 000 mètres. Il faut être bon en cross.

J’ai donc repris l’entraînement biquotidien et l’équilibre n’est pas simple à trouver. Car la récupération, sur le plan nerveux notamment, est primordiale, et incompatible avec le rythme professionnel mené en janvier.

D’où ces deux sorties en cross délicates en ce début 2019, escorté d’affreuses sensations. S’organiser en conséquence, pour reprendre le fil.

Quelques pensées pernicieuses peuvent surgir ici et là : mais à quoi bon s’échiner corps et âme à faire moins de 30’ sur 10 km, moins de 2h20’ sur marathon (remplacez par vos objectifs perso, ça marche pareil !) ? Tant de contraintes (ne parlons pas de sacrifice s’il vous plaît, c’est un choix) pour un résultat si incertain et des vétilles en guise de retombées ?

Rien à gagner ? Financièrement, oui. Mais personnellement, il y a tout à gagner. Le chemin parcouru pour y arriver, ou ne pas arriver (le plus important n’est-il pas de tenter ?) est ce qui fait justement tout le sel et tout le charme de cette quête.

Et si doute il y a, le souvenir des suaves et diaboliques sensations du marathon (vous en avez sûrement ressenti de telles sur piste, route, cross ou trail), suffit à en dissiper les quelques effluves pernicieux. N’est-ce pas ?

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