La journée à trois euros – Rencontre #17 De la terre à l’assiette (Impacts Editions)

CARNETS DE RENCONTRE #17, dimanche 10 septembre, bal(l)ade littéraire, Lons (64)

« J’habite dans le village d’Uzein, près de Pau, là où se trouve l’aéroport. Je vais en bus à Lescar, à dix kilomètres. Au retour, le bus me ramène à l’aéroport. J’ai trois kilomètres, ensuite, pour rentrer chez moi au village. Plus jamais je ne le referai. Rien n’est prévu pour les piétons ! J’aime bien la nature, j’aime bien le foin, mais c’était tellement dangereux sur le bas-côté, avec les serpents en plus ! Au village, des gens m’ont dit : mais il y aura toujours quelqu’un pour t’amener à l’aéroport. Enfin, pour prendre le bus de là-bas, pas l’avion, hein ! Voilà, rien n’est fait pour faciliter les transports en commun. Tout est pour la voiture, ici ! »

L’imaginaire biberonné à la bagnole ; la bagnole symbole de la modernité, depuis les années 60, 70 ; et si la modernité c’était désormais marcher, nouvel imaginaire ?

Un aller-retour en bus, ça doit coûter quoi, autour de trois euros. C’est pile ce que j’ai gagné, ce dimanche à Lons. Record battu : deux livres vendus.

Je suis arrivé à 10h45, je suis reparti à 17h45.

Sept heures de salon, trois euros, soit 0,43 centimes de l’heure (arrondi au centime supérieur).

Le taux horaire du Smic est fixé à 11,42 euros. A ce rythme, il m’aurait fallu 26 heures et 33 minutes de salon pour atteindre 11,42 euros.  

Mais les bénévoles de l’organisation offraient le repas du midi, et le café, aussi.

Mais je suis venu en vélo, et c’est toujours des euros d’essence économisés, surtout quand il flirte avec les deux euros – les vacances sont finies depuis longtemps.

Loup, vriller des mots.

La vie d’auteur, c’est un peu comme la vie de pigiste, de plus en plus ancienne, où il faut courir se vendre auprès des rédactions. La différence, notable, ce sont les visages qui défilent toute la journée sur les salons. L’écran de l’ordinateur ne sourit jamais au regard.

« Ça fait partie du jeu, de faire des salons et de ne rien vendre » dit Gilles Vincent, auteur à polar qui sillonne les salons du Béarn et de la France. Lui sait très bien vendre ses bouquins. Je l’ai observé faire, tout comme Perrine Austry. « Vous voulez que je vous parle de mon livre ? » Lectrices et lecteurs pris par la main ; qui déjà voyagent.

Agent double

C’est comme Jean-Marc et Marie-Angèle Persillon, les maraichers à Gaàs, dont je raconte le parcours dans De la terre à l’assiette. Agricultrices et commerciales, à vendre les légumes de la terre sur le marché de Saint-Jean-de-Luz, et une fois par semaine directement sur leur exploitation. Métiers doubles.

D’habitude, une rencontre est organisée avec le public, qui découvre alors l’objet du livre, suivie d’échanges nourriciers – c’est ce qui est le plus intéressant. Et de là découlent des ventes, forcément. Ce n’était pas le cas, à Lons.

Qu’est ce qui fait, alors, qu’un lecteur, qu’une lectrice, achète tel livre plutôt qu’un autre ? Les yeux s’arrêtent sur la couverture – la personne est intéressée -, les yeux s’en vont – ah bah non -, puis reviennent – ah bah si. Un salon, c’est attraper des morceaux de vie : « Je risque d’avoir un sac qui va peser ! » sourit une dame. Sur la petite dizaine de livres qu’elle a achetés, combien en lira-t-elle vraiment ?

J’ai l’impression d’une compétition imaginaire avec les autres auteurs et autrices du salon –la rentrée littéraire, c’est 466 romans !

Imaginaire, seulement, car de ce que j’ai pu en saisir, les autrices et les auteurs se soutiennent, se découvrent, se marrent, s’achètent parfois mutuellement leur livre ; petite communauté d’appartenance.

Plus profondément, cette idée de se vendre, et de vendre le plus possible pour vivre contredit les valeurs de mesure et de sobriété que je ressens de plus en plus. Comment sortir et dépasser cette contradiction ?

C’est comme célébrer la vie ralentie quand le monde est un tambour de machine à laver, mais vivre soi-même à 10 000 à l’heure. Comment sortir et dépasser cette contradiction ?

La librairie aéroport

Pourquoi dès lors suis-je venu ?

Parce qu’on écrit des livres pour se faire lire ; bah oui, quand même.

Parce qu’il faut aussi soutenir les bénévoles qui font vivre la littérature dans les salons.  

Parce qu’il faut épauler les librairies, a fortiori indépendantes, a fortiori Marjolaine qui s’est lancée à Morlaàs en mars dernier. 

L’autoédition ? Des auteurs et autrices amies le font.

Mais imaginez un monde où chacun s’autoédite.

Imaginez un monde où il n’y aurait plus de librairies.

Une librairie, c’est un aéroport : c’est partir transporté par deux coups de cœur de la librairie à deux pas chez soi comme dans les plus vastes et reculées contrées du monde, et même au-delà. C’est le voyage à terre, sans passeport. Le voyage à lit.

Marjolaine est l’une des premières à arriver, avec tous ses cartons remplis, et l’une des dernières à partir, avec tous ses cartons de livre à ramener – du coup, comme j’en avais vendu que deux (ce coup-ci hein, ça n’arrive pas non plus à tous les voyages !), bah le carton pesait aussi lourd qu’à l’aller. Marjolaine a travaillé de mardi à dimanche ; elle dormira toute la journée lundi et rouvrira mardi.

Métier passion, que l’on dit.

Marianne, de la librairie La Curieuse à Arudy, pendant le Festival de littérature Ecrire la nature, a vadrouillé d’Arudy à Laruns, en passant par Béost et le col du Pourtalet la bagnole rempli de bouquins.

Déballer, remballer. Au moins les mots roulent…

La journée à trois euros. Pourquoi dès lors suis-je venu ?

Parce que la surprise, parce que l’inattendu. Parce que les belles rencontres, les sourires, les rires.

Parce que le rire. Toujours le rire.

Calendrier et comptes rendus des rencontres passées et à venir :

Jeudi 28 avril : Club de la Presse de Bordeaux (33) – carnet compte rendu #1

Vendredi 29 avril : Librairie La Curieuse, Arudy (64) – carnet compte rendu #2

Samedi 30 avril : Librairie le 5e art, Saint-Jean-de-Luz (64) – carnet compte rendu #3

Jeudi 11 mai : Librairie café Menta, Ossès (64) – carnet compte rendu #4

Dimanche 15 mai : Festival Livre Sans Frontière à Oloron Sainte-Marie (64) – carnet compte rendu #5 

Vendredi 19 mai : apéro littéraire Librairie La Rêverie Aire-sur-l’Adour (64)  – carnet compte rendu #6 

Mercredi 24 mai : Librairie L’Escampette, Pau (64) – carnet compte rendu #7

Jeudi 1er juin : Librairie Tandem, Mauléon (64) –  carnet compte rendu #8

Vendredi 16 juin : Amap Bernadets (64) – carnet compte rendu #9

Samedi 17 juin : Festival Le réveil des carottes, Oloron Sainte-Marie (64) – carnet compte rendu #10

Jeudi 22 juin : chez le producteur Pietometi, Ogeu-les-Bains (avec la librairie La Curieuse, Arudy) (64) – carnet compte rendu #11

Samedi 24 juin : Librairie La Grande Illusion, Hendaye (64) – carnet compte rendu #12

Jeudi 29 juin : Cafe Au Pais, avec la librairie Chez Gustave, Morlaàs (64) – carnet compte rendu #13

Dimanche 2 juillet, 13h30 : Festival AgiTaterre, Lahage (31) – carnet compte rendu #14

Samedi 16 juillet, 17 h : Festival international de Journalisme, Couthures-sur-Garonne (33)

Dimanche 10 septembre : Salon “bal(l)ade littéraire”, Lons (64)

Samedi 16 septembre : Le rendez-vous politique de l’ Alliance des tables libres et vivantes, Gennevilliers, Paris.

Lundi 18 septembre : Gaztetxe (maison des jeunes), Ascain (64)

Vendredi 22 septembre, 19 heures : Librairie Page et Plumes, Limoges (87)

Jeudi 28 septembre : Librairie-Boutique Chez Margot, Cambo-les-Bains (64)

Jeudi 5 octobre, 20h30 : Echiré (79), avec la librairie des Halles, Niort

Vendredi 13 octobre, 18 heures : Librairie Georges, Talence (33)

Jeudi 19 octobre : Librairie les mots du zèbre, Eysines (33)

Samedi 21 octobre : Auberge Arotzenia, Urrugne (64)

Vendredi 27 octobre : La coulée douce, MJC Berlioz, Pau (64)

Samedi 28 octobre : La chouette qui lit, Marciac (32)

Jeudi 2 novembre, 19 heures : Café Climat à Aquiu, Pau (64)

Samedi 25 novembre : Festisol, Emmaüs, Pau (64)

Samedi 9 décembre : Espace Culturel Niort (79)

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